Chez nous, la “politique alcool” est au mieux inexistante et, au pire, déterminée par les acteurs brassicoles. Pour preuve : ce “plan alcool” qui végète depuis des années. Pourtant, des mesures urgentes s’imposent.
Une carte blanche signée par les membres de la FEDITO et publiée dans les pages de La Libre Belgique de ce mercredi 22 mars 2017.
Environ 125 000 : c’est le nombre de Belges qui auront participé à la cam pagne “Tournée minérale”. Bravo à ces 125 000 personnes qui ont relevé le défi initié par la Fondation contre le cancer. Et bravo à la Fondation qui a rappelé, non seulement les dangers de l’al cool (son caractère cancérigène n’en est qu’un parmi de nom breux), mais aussi la possibilité de s’en passer en questionnant la place qu’il tient dans nos vies.
L’influence de l’industrie
Le challenge désormais est qu’à ce mois d’abstinence succède une réduction instituée au quotidien et sur le long terme : un ou plusieurs jours par semaine sans alcool, par exemple. Car “Tournée minérale” aura permis à de nombreux parti cipants de prendre conscience du caractère routinier de leur con sommation. C’est particulièrement vrai en Belgique : d’après les statis tiques récentes de l’OCDE (2014), chaque Belge de plus de 15 ans a bu en moyenne 12,6 litres d’équivalent alcool par an. Seule la Russie supplante la Belgique avec 13,8 litres annuels !
En France, on descend à 11,5 litres; en Allemagne, à 10,9; aux PaysBas, à 8,4… L’explication ne seraitelle que culturelle ? Certainement pas, puisque nos voisins avec lesquels nous partageons nos trois langues nationales ont des consommations sensiblement moindres. L’explication serait-elle liée à l’industrie brassicole belge ? Pas plus, puisque la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont eux aussi une industrie alcoolière florissante, mais des consommations de 10 à 30 % plus faibles.
La culture et l’existence d’une forte industrie brassicole n’expli quent pas, seules, les fortes con sommations enregistrées en Belgi que… sauf quand il est permis dans notre culture (politique) de laisser l’industrie influer sur les politi ques de santé publique. Car en Belgique, la “politique alcool” est au mieux inexistante et, au pire, fortement déterminée par les ac teurs brassicoles.
Le (non-)“plan alcool”
Un bel exemple est le rejet en 2013 du plan alcool : les li béraux flamands avaient alors été pointés du doigt, spé cifiquement Sven Gatz, qui s’était mis en congé de toute fonction parlementaire pour devenir directeur de la Fédération des brasseurs belges, au moment des négociations du Plan… Depuis l’année dernière, c’est au tour d’une autre libérale flamande, Maggy De Block, de piloter en tant que ministre de la Santé publique les concertations nécessaires à un nouveau plan alcool. Un premier round a eu lieu en octobre dernier, lors duquel les gouvernements wallon et bruxellois ont proposé des mesures réduisant la vente d’alcool et réglementant davantage les campagnes de marketing… L’open-VLD s’y est opposé. Maggy De Block a alors eu cette promesse : “Les discussions vont se poursuivre à court terme pour aboutir à un accord”, en l’occurrence pour la conférence interministérielle du 27 mars prochain. Mais il semble qu’en date de fin février, aucune nouvelle concertation sérieuse n’avait encore été organisée par le fédéral.
On se dirige droit vers un fiasco en rase campagne… Or le coût sanitaire et social lié à l’alcool se monte à 4,2 milliards d’euros annuellement à charge de l’Etat, soit trois fois plus que les recettes qu’il engendre. Quelque 10 % des Belges de plus de 15 ans ont une consommation problématique (plus de 14 ou 21 verres par semaine respectivement pour les femmes et les hommes). Parmi ces personnes, seule 1 sur 12 recherche de l’aide, après une période de latence de plus de 18 ans. L’alcool fait partie intégrante de notre culture : il ne s’agit pas d’éradiquer sa consommation mais de réduire son usage problématique.
Les mesures à prendre
Il s’agit dès lors d’interdire la publicité pour l’alcool, à l’instar du tabac : malgré l’impact forcément bien connu du marketing sur la consommation, la plus grande compétition de
football est sponsorisée par une marque de bière, et la publicité pour l’alcool reste tellement omniprésente qu’elle est difficile à “déguster avec sagesse”…Il s’agit de clarifier une législation complexe qui autorise la vente d’alcool dès 16 ans, sauf pour les spiritueux autorisés à partir de 18 ans. Une loi peu claire est peu respectée : dans les faits, plus de 80 % des établissements Horeca et des détaillants vendent illégalement de l’alcool à des mineurs. Il s’agit de renforcer les actions des opérateurs de santé. A ce propos, associer une campagne de santé à une collecte de fonds ne coule pas de source ; c’est pourtant ce à quoi a dû se résoudre la Fondation contre le Cancer à l’occasion de la “Tournée minérale”. C’est à l’image d’un secteur de la santé précarisé ; les sensibilisations aux médecins prodiguées par la Société scientifique de médecine générale, le certificat interuniversitaire en alcoologie (ULB, Ulg, UCL, SSMG), les stratégies innovantes de promotion de la santé développées par le réseau Jeunes, Alcool & Société et, plus généralement, l’offre sanitaire reposent sur des budgets limités, empêchant leur réel déploiement.
Il s’agit plus généralement de développer un plan alcool tel que le préconise l’Organisation mondiale de la santé. Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) suggère un plan concerté entre entités fédérale et fédérées, comportant notamment des campagnes d’informations, une réglementation plus stricte de la publicité et une restriction de la vente d’alcool. Ces recommandations sont ignorées par le politique. Car ainsi vogue, en Belgique, le radeau de la santé publique sur l’océan de l’alcool : à défaut de politique publique, les objectifs de réduction des risques ou de la consommation reposent sur des épaules trop frêles : celles d’associations et ONG, riches en créativité mais pauvres en moyens ; celles de citoyens, motivés comme l’a démontré “Tournée minérale” mais responsables avant tout pour eux-mêmes et éventuellement leurs proches ; celles enfin de certains ministres régionaux de la Santé, engagés mais dépendants d’une concertation fédérale qui n’est pas réunie en temps et en heure…
En Belgique, pour contrer les méfaits liés à l’alcool, on se base davantage sur les bonnes résolutions des individus qui le peuvent et le veulent bien que sur une politique de santé publique cohérente.
→ Les signataires de cette carte blanche
Sébastien Alexandre (Directeur de la Fédito Bruxelles asbl), Christophe Cocu (Secrétaire général, Fédération des maisons médicales ASBL), Martin de Duve (directeur d’Univers Santé ASBL, coordinateur du réseau “Jeunes, Alcool & société”), Peter Degadt (directeur général Zorgnet-Icuro VZW), Dr Michel De Volder (président de la Fédération des associations des médecins généralistes de Bruxelles), Laurence Genin (Le Pélican ASBL/Aide-alcool.be), Dr Dominique Lamy (Président du Réseau Alto ASBL), Dr Thomas Orban (vice-président de la Société scientifique de médecine générale), Laurence Przylucki (Présidente de la Fédito wallonne ASBL), Dr Michel Roland (président de Médecins du monde ASBL), Dr Serge Zombek (directeur Interstices CHU St Pierre ASBL/ Liaison alcool).