“Si tu veux maigrir, il faut manger moins et bouger plus, c’est simple !” : c’est ce qui disent ou pensent la plupart des gens.
L’approche sociétale en matière de lutte contre l’obésité semble régulièrement se résumer à des stéréotypes : cédant à leurs pulsions, fainéant·es, les obèses seraient le symbole de l’excès des sociétés modernes.
Un documentaire récent proposé par ARTE, “Un monde obèse”, soulève la question de la responsabilité de l’agroalimentaire et de la société, décrite comme “obésogène”, dans l’épidémie d’obésité. Une réflexion rafraichissante, qui évite la culpabilisation et le report du blâme sur les personnes obèses, comme c’est souvent le cas.
Petit récap des différentes idées évoquées dans le documentaire, que nous vous invitons à visionner dans son entièreté ici !
Un état des lieux
Ce qui frappe d’emblée dans Un monde obèse, ce sont les chiffres : en continuant sur cette lancée, plus de la moitié de la population sera obèse en 2030 – les prémices d’une société à l’espérance de vie réduite, comme c’est le cas au Mexique, où il est estimé que la nouvelle génération sera la première à avoir une espérance de vie inférieure à celle de la génération précédente. D’ici 2030, on estime que le nombre d’enfants obèses sera de 250 millions, contre 150 millions actuellement.
Quant aux maladies liées à l’obésité, comme le diabète, elles sont en pleine explosion : à l’heure actuelle, une personne meurt toutes les six secondes du diabète dans le monde[1].
D’autres troubles sont également déjà observables : des études montrent que le régime occidental industriel pourrait dégrader la flore intestinale de génération en génération – en quelque sorte, plus on mangerait mal, plus notre capacité à bien manger se dégraderait.
[1] NB : le diabète est une maladie présentant plusieurs formes et n’étant pas systématiquement liée à l’obésité – toutefois, les scientifiques interrogés dans le documentaire semblent établir une corrélation entre l’épidémie d’obésité et l’épidémie de diabète.
Histoire d’un changement de paradigme… erroné.
Deux dérives importantes sont pointées du doigt par le documentaire : d’une part, l’arrivée d’une lutte contre le gras qui a laissé la part belle aux sucres et aux produits ultra-transformés, et d’autre part, l’idée selon laquelle il suffirait de bouger plus pour lutter contre le surpoids.
Ce n’est que depuis le début des années 2000 que cette “guerre contre l’obésité” a démarré dans les pays occidentaux – mais le changement des modes de production et de consommation des aliments, lui, remonte à la fin des années 70. À l’époque, en effet, on voit dans les pays occidentaux une augmentation conséquente du nombre de maladies cardio-vasculaires : ce qui est pointé du doigt, ce sont les matières grasses. C’est à ce moment qu’une nouvelle pyramide alimentaire voit le jour : tout en bas, dans les aliments essentiels qui doivent trouver une place à chaque repas, on retrouve les féculents/glucides. Une aubaine pour l’industrie de l’agroalimentaire : l’agriculture de masse est en plein boom, subventionnée par les états. Il coûte donc moins cher de produire des céréales que des légumes ou des protéines d’origine animale.
Avec cette croissance de la production de céréales, on voit également apparaitre de nouvelles formes de glucides, à travers les produits ultra transformés : sirop de maïs, dextrose, fructose – tous ces dérivés de céréales sont utilisés par l’industrie car peu coûteux et donnent lieu à des produits transformés bon marché. Pourtant, ils ne présentent aucun intérêt nutritif : les procédés de transformation dépouillent les céréales des fibres et des protéines, qui sont leurs atouts majeurs pour une alimentation équilibrée.
Dans un second temps, après l’augmentation drastique du surpoids et de l’obésité dans les sociétés occidentales, une deuxième erreur apparait dans la lutte contre ce phénomène : l’idée selon laquelle le poids idéal serait le résultat d’un savant équilibre entre calories entrantes (l’alimentation) et calories sortantes (l’exercice physique).
C’est l’un des points majeurs de ce documentaire, qui remet entièrement en question cette acception très répandue. Bien entendu, le documentaire n’insinue pas que le sport et l’exercice physique sont inutiles, loin de là : ils sont essentiels au maintien d’une bonne santé physique et mentale, et les bienfaits d’une activité physique régulière ne sont plus à démontrer.
Cependant, l’idée (difficile à remettre en cause tant elle parait évidente) selon laquelle on pourrait “éliminer” les calories avalées en bougeant n’est pas forcément juste : si la loi “calorie entrante/calorie sortante” est correcte en physique, il n’en est pas de même en physiologie humaine : deux domaines très différents ! Ce slogan “moins manger/plus bouger” est pourtant partout, tant dans la campagne “Let’s Move !” de Michelle Obama (dont l’objectif premier, améliorer la qualité des repas de cantines, est passée aux oubliettes) que dans le succès d’émissions de télé-réalité comme “Avant, j’étais gros”.
Mais d’où vient cette conception ? C’est là l’un des points de bascule du documentaire, qui va nous inciter à pointer les géants de l’agroalimentaire comme responsables de cette crise globale.
Ce concept a en effet été créé par des scientifiques participant à un programme lancé par… Coca-Cola qui détourne le problème en focalisant l’attention des gens sur un autre message… Bouger un peu ne remet pas en question l’idée de boire le soda renommé mondialement !
Les inégalités sociales, preuve d’une logique de systèmes
Ce qui s’impose en regardant Un monde obèse, c’est le côté systémique de l’épidémie d’obésité : aux Etats-Unis, les principales victimes sont les communautés les plus pauvres, plus spécifiquement les communautés noires des quartiers pauvres des grandes villes.
Un ciblage marketing est effectué directement dans ces communautés : si l’on compare les cartes de diffusion des publicités pour de la nourriture industrielle et les cartes recensant le taux de personnes obèses dans la population, on observe de grandes similitudes dans les zones touchées.
Il nous faut également comprendre le concept de “désert alimentaire”, qui n’est pas forcément facile à imaginer à partir de notre réalité européenne : il existe en effet, dans le monde, des endroits où l’on ne trouve aucun produit frais à des kilomètres à la ronde – pas de légumes, de fruits, de laitages… Comment blâmer les populations plus pauvres de se tourner vers la “malbouffe” ? D’autant plus que cette tendance se radicalise : dans certains pays, comme le Mexique, il n’est pas rare de trouver des sodas moins chers que de l’eau !
Deux approches : la sensibilisation par et pour les communautés, et les politiques publiques
Le documentaire se focalise sur deux approches pour lutter contre cette logique de colonisation par les grandes entreprises de notre façon de nous alimenter.
D’une part, la sensibilisation par les communautés : plutôt que d’adopter le ton parfois condescendant des plus privilégiés face à la “malbouffe”, il s’agit d’une approche pédagogique au sein même des populations les plus touchées. Faire une fois de plus l’expérience concrète du nombre de morceaux de sucre dans une canette de soda, c’est permettre à ceux qui n’ont pas toujours reçu cette information d’expliquer les dangers du sucre. La poésie, la réappropriation de son corps et de l’espace public, la dénonciation : ce sont des armes qui permettent une approche par le bas.
Mais cette sensibilisation ne serait rien sans une réforme globale du système : bien que conscients du danger, il est évident que si les prix et la disponibilité des produits n’évoluent pas, on ne fournira pas aux populations les moyens de s’en sortir.
Au Chili, une expérience a été édifiante : dans une campagne d’ampleur inédite pour lutter contre l’obésité, le gouvernement a mis en place un système d’étiquettes noires sur les produits à éviter. Une réforme efficace, puisque 40% des citoyens chiliens déclarent que cela a eu un impact sur leur manière de consommer. Plus encore : en 18 mois, on a observé une baisse de 25% des achats de boissons sucrées !
Et chez nous ? Quelles pistes en retenir ? Qu’en conclure pour nos modes de vie ?
Ce qu’on peut retenir, c’est que tant sur le plan sociétal que personnel, la manière de produire et de consommer a radicalement changé sur les dernières décennies. Arrivée du “snacking” (un terme qui n’existait pas dans les années 70), des produits ultra transformés à très bas prix, des fast-foods… Nous suivons en Belgique et en Europe le modèle qui fait des ravages partout dans le monde.
Pourtant, l’épidémie d’obésité ne semble pas encore autant prise au sérieux que d’autres épidémies, malgré les messages d’alerte de l’OMS. Il serait temps de s’interroger sur les causes économiques et sociétales de l’obésité, plutôt que de se focaliser sur l’exercice physique comme compensation et la volonté (et la culpabilisation) de chacun.
Le Nutri-Score, ce système d’étiquetage européen qui note de A à E la qualité nutritive d’un produit, a été fortement critiqué par les industriels qui ont dépensé plus d’1 milliard d’euros en lobbying pour empêcher l’aboutissement de ce projet. Résultat : cet affichage n’est pas obligatoire partout, et en Belgique, il n’est pas disponible sur tous les produits. Récemment encore, 40 acteurs de la consommation ont fait la demande d’une obligation d’affichage du Nutri-Score dans toute l’UE : affaire à suivre… Malgré ses limites, ce système a le mérite d’être le meilleur à ce jour pour aider le consommateur à faire ses choix pour une alimentation plus équilibrée.
A nos dirigeants politiques de prendre leurs responsabilités en la matière : une lutte sérieuse contre l’industrie de la malbouffe, qui passe par des mesures concrètes et cohérentes !
N’oublions pas aussi que nos choix, autres que politiques, peuvent avoir un impact : à nous de privilégier, lorsque nous en avons l’occasion, les producteurs locaux, les produits frais et de saison !
Le pouvoir est dans notre assiette : à nous d’en exiger le contrôle !